BENSERADE, Isaac de
    
      
    
      
    Epitaphe d’une belle femme
  
    
      
    Ci-gît une beauté charmante et peu vulgaire,
  
qu'injustement, helas! son époux gourmandait.
Et le seul qui ne l'aima guere,
fût le seul qui la possedait.
    
      
    
      
    Beau sein
  
    
      
    Beau sein déja presque rempli,
  
bien qu'il ne commence qu'à poindre,
têtons qui ne font pas un pli,
et qui n'ont garde de se joindre.
    
      
    De jeunesse ouvrage accompli,
  
que du fard il ne faut pas oindre.
Si l'un est rond, dur & poli,
l'autre l'égale et n'est pas moindre.
    
      
    Sein par qui les Dieux sont tentés,
  
digne échantillon de beauté
que le jour n'a point regardés.
    
      
    Il garantit ce qu'il promet,
  
et remplit toutes les idées
du Paradis de Mahomet.
    
      
    
      
    Beaux yeux
  
    
      
    Beaux yeux dont l'atteinte profonde
  
Trouble des coeurs incessamment
Le doux repos qui ne se fonde
Que sur un si doux mouvement.
    
      
    De tout ce qu'on dit en aimant,
  
Beaux yeux, source vive et féconde ;
Beau refrain, doux commencement
Des plus belles chansons du monde.
    
      
    Beaux yeux qui sur les coeurs avez
  
Tant de puissance, et qui savez
Si bien jouer de la prunelle.
    
      
    Beaux yeux, divin charme des sens,
  
Vôtre amour est en sentinelle
Pour attraper tous les passants.
    
      
    
      
    La mouche et le coche
  
    
      
    Un chariot tiré par six chevaux fougueux
  
Roulait sur un chemin aride et sablonneux.
Une mouche était là présomptueuse et fière
Qui dit en bourdonnant : « Que je fais de poussière
    
      
    
      
    Sur une coquette
  
    
      
    Une foule d'amants, que chez vous on tolère,
  
De vos facilités cherche à s'avantager;
La patience même en serait en colère,
Etes-vous un butin qu'il faille partager?
    
      
    N'avez-vous rien à craindre, et rien à ménager?
  
Quoi! tous également attendent leur salaire
Avez-vous résolu de me faire enrager
A force de vouloir éternellement plaire ?
    
      
    Enfin, si je suis las de ce que cent rivaux
  
Se disputent le prix qu'on doit à mes travaux,
Vous devez l'être aussi de ce qu'on en caquette
    
      
    Votre honneur est en proie aux escrocs, aux filous
  
Et si vous excellez en l'art d'être coquette,
Je n'excelle pas moins en l'art d'être jaloux.
    
      
    
      
    Job
  
    
      
    Job de mille tourments atteint
  
Vous rendra sa douleur connue,
Et raisonnablement il craint
Que vous n'en soyez point émue.
    
      
    Vous verrez sa misère nue,
  
Il s'est lui-même ici dépeint.
Accoutumez-vous à la vue
D'un homme qui souffre et se plaint.
    
      
    Bien qu'il eût d'extrêmes souffrances,
  
On vit aller des patiences
Plus loin que la sienne n'alla.
    
      
    Il souffrit des maux incroyables.
  
Il s'en plaignit, il en parla :
J'en connais de plus misérables.
    
      
    
      
    Je mourrais de trop de désir
  
    
      
    Je mourrais de trop de désir
  
Si je la trouve inexorable ;
Je mourrais de trop de plaisir
Si je la trouve favorable.
Ainsi, je ne saurais guérir
De la douleur qui me possède ;
Je suis assuré de périr
Par le mal ou par le remède.
    
      
    
      
    Eloge de la Bouche
  
    
      
    Bouche vermeille au doux sourire,
  
Bouche au parler délicieux.
Bouche qu’on ne saurait décrire,
Bouche d’un tour si gracieux,
    
      
    Bouche que tout le monde admire.
  
Bouche qui n’est que pour les dieux,
Bouche qui dit ce qu’il faut dire,
Bouche qui dit moins que les yeux,
    
      
    Bouche d’une si douce haleine,
  
Bouche de perles toute pleine,
Bouche, enfin, sans tant biaiser,
    
      
    Bouche la merveille des bouches,
  
Bouche à donner de l’âme aux souches,
Bouche, le dirai-je, à baiser.
    
      
    
      
    Epitaphe du mari
  
    
      
    Ci-gît un bon mari dont l'exemple est à suivre,
  
Patient au-delà du temps qu'il a vécu,
Qui, pour avoir cessé de vivre,
Ne cessa pas d'être cocu.
    
      
    
      
    Madame, je vous donne un oiseau pour étrenne
  
    
      
    Madame, je vous donne un oiseau pour étrenne
  
Duquel on ne saurait estimer la valeur ;
S'il vous vient quelque ennui, maladie ou douleur,
Il vous rendra soudain à votre aise et bien saine.
    
      
    Il n'est mal d'estomac, colique ni migraine
  
Qu'il ne puisse guérir, mais sur tout il a l'heur
Que contre l'accident de la pâle couleur
Il porte avec soi la drogue souveraine.
    
      
    Une dame le vit dans ma main, l'autre jour
  
Qui me dit que c'était un perroquet d'amour,
Et dès lors m'en offrit bon nombre de monnoie
    
      
    Des autres perroquets il diffère pourtant :
  
Car eux fuient la cage, et lui, il l'aime tant
Qu'il n'y est jamais mis qu'il n'en pleure de joie.