SEGHERS, Pierre
    
      
    
      
    Octobre
  
    
      
    Le vent qui pousse les colonnes de feuilles mortes
    
      
    Octobre, quand la vendange est faite dans le sang
    
      
    Le vois-tu avec ses fumées, ses feux, qui emporte
    
      
    Le Massacre des Innocents
    
      
    Dans la neige du monde, dans l’hiver blanc, il porte
    
      
    Des taches rouges où la colère s’élargit ;
    
      
    Eustache de Saint-Pierre tendait les clefs des portes
    
      
    Cinquante fils la mort les prit,
    
      
    Cinquante qui chantaient dans l’échoppe et sur la plaine,
    
      
    Cinquante sans méfaits, ils étaient fils de chez nous,
    
      
    Cinquante aux regards plus droits dans les yeux de la haine
    
      
    S’affaissèrent sur les genoux
    
      
    Cinquante autres encore, notre Loire sanglante
    
      
    Et Bordeaux pleure, et la France est droite dans son deuil.
    
      
    Le ciel est vert, ses enfants criblés qui toujours chantent
    
      
    Le Dieu des Justes les accueille
    
      
    Ils ressusciteront vêtus de feu dans nos écoles
    
      
    Arrachés aux bras de leurs enfants ils entendront
    
      
    Avec la guerre, l’exil et la fausse parole
    
      
    D’autres enfants dire leurs noms
    
      
    Alors ils renaîtront à la fin de ce calvaire
    
      
    Malgré l’Octobre vert qui vit cent corps se plier
    
      
    Aux côtés de la Jeanne au visage de fer
    
      
    Née de leur sang de fusillés.
  
    
      
    
      
    La gloire
  
    
      
    Mon beau dragon Mon lance-flammes
  
Mon tueur Mon bel assassin
Ma jolie brute pour ces dames
Mon amour Mon trancheur de seins
Mon pointeur Mon incendiaire
En auras-tu assez brûlé
Des hommes-torches et violé
Des jeunes filles impubères
    
      
    Broyeur de morts lanceur de feu
  
Rôtisseur de petits villages
Mon bel envoyé du Bon Dieu
Mon archange Mon enfant sage
Bardé de cuir casqué de fer
Fusilleur Honneur de la race
Que rien ne repousse où tu passes
Mon soldat Mon fils de l’enfer
    
      
    Va dans tes bêtes mécaniques
  
Ecraser ceux qui sont chez eux
Va de l’Equateur aux Tropiques
Arracher le bonheur des yeux
Va mon fils va tu civilises
Et puis meurs comme à Epinal
Sur une terre jaune et grise
Où nul ne te voulait de mal
    
      
    
      
    A René-Guy CADOU
  
    
      
    Si
  
La mort
Vient un soir
De plus grand vent
Déchirant les arbres
Si les fleuves du ciel
S'écaillent passé l'automne
Si le bonhomme sous les feuilles
Avec la neige fond et s'enfonce
Dans le pays des sèves et des mots
Ah! si tout s'en va dans les campagnes
Un soir comme les autres, si
Les vieux voisins t'accompagnent
Rêver avec les tiens
Parmi leurs travaux
De tous les jours
Si la cloche
Pour toi
Sonne
    
      
    Il faudra dire que tout est bien
  
Non, ce n'est rien, tout ne fut pas vain, tu accompagnes
Les songes du berger quand il paît son troupeau
Les vieilles femmes parleront de toi dans les veillées
Et d'autres te liront et sauront à vingt ans
Tes vers. Tu les diras avec leurs voix qui chantent
Dans l'aubier de leur coeur secret. Non, ce n'est rien
Tu ne te lèveras plus la nuit pour écrire
Mais ton visage que tu regardais changer
Demeurera pour eux entre l'école et le clocher
    
      
    Si
  
Le temps
Te reprend
Tout comme avant
Si le vent qui passe
apporte avec ton nom
L'odeur des bois, de la chasse
Si le soleil et si les lys
Compagnons de ton plus grand voyage
Reviennent, si les feux reviennent, si
Un seul mot de toi suffit pour voir
Ta lampe s'allumer le soir
Si un visage qui brûle
D'un impossible espoir
Te retrouve enfin
Alors tout est
A nouveau
Pour toi
Bien
    
      
    Je te le disais:
  
Il faut toujours dire que tout est bien