ANDREA, Jean-Baptiste
    
      
    
      
    Veiller sur elle
  
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    Je n’en voulus jamais à mes parents. Si la pierre fit ce que je suis, si une magie noire était à l’œuvre, elle me combla aussi de ce qu’elle me prit. La pierre me parla toujours, toutes les pierres, calcaires, métamorphiques, tombales même, celles sur lesquelles je me coucherais bientôt pour écouter des histoires de gisants.
  
– Ce n’est pas ce qui était prévu, murmura l’ingegnere, se tapotant les lèvres d’un doigt ganté. C’est fâcheux.
Il neigeait dru maintenant. Zio Alberto haussa les épaules, voulut nous claquer la porte au nez. L’ingegnere la bloqua du pied. Il tira l’enveloppe de ma mère de la poche intérieure de son vieux manteau de fourrure, la tendit à mon oncle. Il y avait là presque toutes les économies des Vitaliani. Des années d’exil, de labeur, de peau brûlée par le soleil et le sel, de recommencements, des années de marbre sous les ongles, avec parfois une once de cette tendresse qui m’avait vu naître. C’est pour ça que ces billets sales et froissés étaient précieux. Pour ça que Zio Alberto rouvrit un peu la porte.
– Cette somme était pour le petit. Je veux dire, Mimo, corrigea-t-il en rougissant. Si Mimo est d’accord pour vous la donner, il ne serait plus un apprenti, mais un associé.
Zio Alberto acquiesça lentement.
– Hmm, un associé.
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    Cent millions d’années et un jour
  
    
      
    J'ai pensé à leur rencontre. J'ai frotté mes parents comme du cuivre ancien pour en effacer le noir. Redressé leur têtes, aminci leurs corps, rallumé leurs yeux. Ils avaient dû s'aimer l'espace d'un instant, quand ils avaient tournoyé sous les lampions du 14 juillet, à moins qu'ils ne soient restés fixes pendant que le reste se mettait à tourner. Ton père était beau, avait dit ma mère, et il était doux, et il dansait comme un dieu. J'ai pensé à leur rencontre mille fois, le plus souvent la nuit, quand j'avais l'impression d'étouffer. Il fallait qu'ils se soient aimés, sinon quelle raison j'avais d'exister, moi, de respirer, de prendre la place d'un autre ? Mais alors, il était parti où, cet amour ? Je l'ai cherché sous mon lit, dans les murs froids, dans la forêt, dans les yeux de ma mère puis dans ceux d'autres femmes, et j'ai fini par comprendre qu'il s'était changé en pierre. Elle avait dû rouler quelque part, passer par le trou d'une poche, et peut-être même qu'ils l'avaient un peu cherchée, mais va-t'en retrouver une pierre dans la caillasse du monde.
  
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