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    Femme noire
    
      
    
      
    Femme nue, femme noire
  
Vétue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté
J'ai grandi à ton ombre; la douceur de tes mains bandait mes yeux
Et voilà qu'au coeur de l'Eté et de Midi,
Je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné
    Et ta beauté me foudroie en plein coeur, comme l'éclair d'un aigle  
    
      
    
      
    Femme nue, femme obscure 
  
Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche
Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d'Est
Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur
    Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée  
    
      
    
      
    Femme noire, femme obscure
  
Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l'athlète, aux flancs des princes du Mali
    Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau.  
    
      
    
      
    Délices des jeux de l'Esprit, les reflets de l'or ronge ta peau qui se moire  
    
      
    
      
    A l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux 
    
      
    
      
    Femme nue, femme noire
  
Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Eternel
    Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie.
    
      
    
      
    
      
    Poème à mon frère blanc 
    
      
    
      
    Cher frère blanc,
  
Quand je suis né, j’étais noir,
Quand j’ai grandi, j’étais noir,
Quand je suis au soleil, je suis noir,
Quand je suis malade, je suis noir,
     Quand je mourrai, je serai noir. 
    
      
    
      
    Tandis que toi, homme blanc,
  
Quand tu es né, tu étais rose,
Quand tu as grandi, tu étais blanc,
Quand tu vas au soleil, tu es rouge,
Quand tu as froid, tu es bleu,
     Quand tu as peur, tu es vert,
    
      
    
      
     Quand tu es malade, tu es jaune,
  
     Quand tu mourras, tu seras gris. 
    
      
    
      
    Alors, de nous deux,
  
     Qui est l’homme de couleur ?
    
      
    
      
    
      
    Épitaphe 
    
      
    
      
    Quand je serai mort mes amis, couchez-moi sous Joal-l’Ombreuse
  
Sur la colline au bord du Mamanguerly, près de l’oreille du sanctuaire des serpents
Mais entre le Lion couchez-moi et l’aïeule Téning-Ndyaré.
Quand je serai mort mes amis, couchez-moi sous Joal-la-Portugaise. des pierres du Fort vous ferez ma tombe, et les canons garderont le silence
     Deux Lauriers roses -blanc et rose embaumeront la Signare. 
    
      
    Quand j’aurai perdu les narines et soif de tendresse vivante, telle une boisson de prédilection
  
Versez mes amis sur ma tombe, le lait de vos prières le vin de vos chants frais. là-haut chanteront les alizés sur les ailes des palmes.
Ah! ce chant qu’il bruisse toujours le chant marin la nuit,
soyeux sur les ailes des palmes
La rumeur doucement dans ma poitrine qui me tient éveillé, je dors et ne dors pas
Et je bois le lait le vin de la nuit qui ruisselle sur les palmes.
Et Marône la Poétesse ira rythmant
« Ci-gît Senghor, fils de Dyogoye-le-lion et de Ngilane-la-Douce. Si fort il aima le pays sévère -les paysans, les pasteurs, les pêcheurs
Les athlètes plus beaux que filaos et les voix contraltos des vierges
- Qu’à la fin son coeur se rompit. »
Quand je serai mort ma Signare, couche moi sous Joal-l’Ombreuse
     A l’ombre des Ancêtres
    
      
    
      
    
      
    Je suis seul 
  
    
      
    Je suis seul dans la plaine
  
Et dans la nuit
Avec les arbres recroquevillés de froid
Qui, coudes au corps, se serrent les uns tout contre les
     autres. 
    
      
    
      
    Je suis seul dans la plaine
  
Et dans la nuit
Avec les gestes de désespoir pathétique des arbres
     Que leurs feuilles ont quittés pour des îles d’élection. 
    
      
    
      
    Je suis seul dans la plaine
  
Et dans la nuit.
Je suis la solitude des poteaux télégraphiques
Le long des routes
     Désertes
    
      
    
      
    
      
    Avant la nuit 
    
      
    
      
    Avant la nuit, une pensée de toi pour toi, avant que je ne tombe
  
Dans le filet blanc des angoisses, et la promenade aux frontières
Du rêve du désir avant le crépuscule, parmi les gazelles des sables
     Pour ressusciter le poème au royaume d’Enfance. 
    
      
    
      
    Elles vous fixent étonnées, comme la jeune fille du Ferlo, tu te souviens
  
Buste peul flancs, collines plus mélodieuses que les bronzes saïtes
Et ses cheveux tressés, rythmés quand elle danse
     Mais ses yeux immenses en allés, qui éclairent ma nuit. 
    
      
    
      
    La lumière est-elle encore si légère en ton pays limpide
  
Et les femmes si belles, on dirait des images ?
Si je la revoyais la jeune fille, la femme, c’est toi au soleil de Septembre
     Peau d’or démarche mélodieuse, et ces yeux vastes, forteresses contre la mort.
    
      
    
      
    
      
    Spleen 
    
      
    
      
    Je veux assoupir ton cafard, mon amour,
  
Et l’endormir,
Te murmurer ce vieil air de blues
     Pour l’endormir. 
    
      
    
      
    C’est un blues mélancolique,
  
Un blues nostalgique,
Un blues indolent
     Et lent. 
    
      
    
      
    Ce sont les regards des vierges couleur d’ailleurs,
  
L’indolence dolente des crépuscules.
C’est la savane pleurant au clair de lune,
     Je dis le long solo d’une longue mélopée. 
    
      
    
      
    C’est un blues mélancolique,
  
Un blues nostalgique,
Un blues indolent
     Et lent.
    
      
    
      
    
      
    Regrets 
    
      
    
      
    « A la mémoire de Soukeina » 
    
      
    
      
    La gracilité de la gazelle
  
S’est fondue au crépuscule mourant
     Dans la vallée. 
    
      
    
      
    L’éclair d’un trait d’ambre
  
Immuable en mon cœur s’est fixé,
     En mon cœur saignant d’un regret inapaisé. 
    
      
    
      
    Car le parfum de mon songe inouï,
  
Splendeur du ciel tropical,
     M’a trop bien ébloui pour les temps à venir. 
    
      
    
      
    Amie, quelles peines as-tu éteintes ainsi ?
  
Dis-moi, quels incendies au feu dévorant
     As-tu donc plongés au fleuve froid 
    
      
    
      
    D’amertume ?
  
Pour toi j’eusse donné tant,
Pour toi plus belle que le crépuscule