MICHAUX, Henri
    
      
    
      
    
      
    Ma vie
    
      
    
      
    Tu t'en vas sans moi, ma vie.
  
Tu roules.
Et moi j'attends encore de faire un pas.
Tu portes ailleurs la bataille.
Tu me désertes ainsi.
Je ne t'ai jamais suivie.
Je ne vois pas clair dans tes offres.
Le petit peu que je veux, jamais tu ne l'apportes.
A cause de ce manque, j'aspire à tant.
À tant de choses, à presque l'infini...
    À cause de ce peu qui manque, que jamais n'apportes.
    
      
    
      
    
      
    Emportez-moi 
    
      
    
      
    Emportez-moi dans une caravelle,
  
Dans une vieille et douce caravelle,
Dans l’étrave, ou si l’on veut dans l’écume,
    Et perdez-moi, au loin, au loin.
    
      
    
      
    Dans l’attelage d’un autre âge.
  
Dans le velours trompeur de la neige.
Dans l’haleine de quelques chiens réunis.
    Dans la troupe exténuée de feuilles mortes.
    
      
    
      
    Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,
  
Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,
Sur les tapis des paumes et leur sourire,
    Dans les corridors des os longs et des articulations.
    
      
    
      
    Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.
    
      
    
      
    
      
    Les hiboux 
  
    
      
    Sous les les ifs noirs qui les abritent, 
  
Les hiboux se tiennent rangés,
Ainsi que des dieux étrangers,
Dardant leur œil rouge.
Ils méditent.
    
      
     Sans remuer ils se tiendront 
  
Jusqu'à l'heure mélancolique
Où, poussant le soleil oblique,
Les ténèbres s'établiront.
    
      
     Leur attitude au sage enseigne 
  
Qu'il faut en ce monde qu'il craigne
Le tumulte et le mouvement;
    
      
     L'homme ivre d'une ombre qui passe 
  
Porte toujours le châtiment
D'avoir voulu changer de place.