JACOB, Max
    
      
    
      
    
      
    Paradis
  
    
      
    J’ai vu les fleurs de l’aubépine
  
Etoiler le flanc des ravines
J’ai vu se lever le soleil
A Bogota et à Marseille.
    
      
    J’ai vu les rousseurs de l’automne
  
Le raisin, la pêche et la pomme.
J’ai vu les neiges des hivers,
Sur les grands sapins toujours verts.
    
      
    J’ai vu dans sa magnificence
  
La capitale de la France
J’ai vu les pays tropicaux
J’ai vu l’Amérique et l’Escaut.
    
      
    Mais ! ô ma divine maîtresse
  
De plus beau que tes longues tresses
De plus profond que tes yeux bleus,
Non ! je n’ai rien vu sous les cieux.
    
      
    Il n’est pas une fleur sur terre
  
Qui de ta bouche ait le mystère
Pas de chef-d’œuvre si parfait
Qui pour ton beau front ne soit fait.
    
      
    Aussi je n’ai point d’autre envie
  
Que de te consacrer ma vie
Et pour richesse je ne veux
Que l’or de tes cheveux.
    
      
    
      
    Le départ
    
      
    
      
    Adieu l'étang et toutes mes colombes
  
Dans leur tour et qui mirent gentiment
Leur soyeux plumage au col blanc qui bombe
Adieu l'étang.
    
      
    Adieu maison et ses toitures bleues
  
Où tant d'amis, dans toutes les saisons,
Pour nous revoir avaient fait quelques lieues,
Adieu maison.
    
      
    Adieu le linge à la haie en piquants
  
Près du clocher ! Oh ! que de fois le peins-je -
Que tu connais comme t'appartenant
Adieu le linge !
    
      
    Adieu lambris ! Maintes portes vitrées.
  
Sur le parquet miroir si bien verni
Des barreaux blancs et des couleurs diaprées
Adieu lambris !
    
      
    Adieu vergers, les caveaux et les planches
  
Et sur l'étang notre bateau voilier
Notre servante avec sa coiffe blanche
Adieu vergers.
    
      
    Adieu aussi mon fleuve clair ovale,
  
Adieu montagne ! Adieu arbres chéris !
C'est vous qui tous êtes ma capitale
Et non Paris.
    
      
    
      
    Villonelle
  
  
    
      
    Dis-moi quelle fut la chanson
    
      
    Que chantaient les belles sirènes
    
      
    Pour faire pencher des trirèmes
    
      
    Les Grecs qui lâchaient l’aviron
  
    
      
    Achille qui prit Troie, dit-on,
    
      
    Dans un cheval bourré de son
    
      
    Achille fut grand capitaine
    
      
    Or, il fut pris par des chansons
    
      
    Que chantaient des vierges hellènes
    
      
    Dis-moi, Vénus, je t’en supplie
    
      
    Ce qu’était cette mélodie.
  
    
      
    Un prisonnier dans sa prison
    
      
    En fit une en Tripolitaine
    
      
    Et si belle que sans rançon
    
      
    On le rendit à sa marraine
    
      
    Qui pleurait contre la cloison.
    
      
    Nausicaa à la fontaine
    
      
    Pénélope en tissant la laine
    
      
    Zeuxis peignant sur les maisons
    
      
    Ont chanté la faridondaine !…
    
      
    Et les chansons des échansons ?
    
      
    Échos d’échos des longues plaines
    
      
    Et les chansons des émigrants !
    
      
    Où sont les refrains d’autres temps
    
      
    Que l’on a chantés tant et tant ?
    
      
    Où sont les filles aux belles dents
    
      
    Qui l’amour par les chants retiennent ?
    
      
    Et mes chansons ? qu’il m’en souvienne !