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    ARTAUD, Antonin
    
      
    
      
    
      
    Invocation à la momie
    
      
    
      
    Ces narines d’os et de peau
  
par où commencent les ténèbres
de l’absolu, et la peinture de ces lèvres
que tu fermes comme un rideau
    
      
    Et cet or que te glisse en rêve
  
la vie qui te dépouille d’os,
et les fleurs de ce regard faux
par où tu rejoins la lumière
    
      
    Momie, et ces mains de fuseaux
  
pour te retourner les entrailles,
ces mains où l’ombre épouvantable
prend la figure d’un oiseau
    
      
    Tout cela dont s’orne la mort
  
comme d’un rite aléatoire,
ce papotage d’ombres, et l’or
où nagent tes entrailles noires
    
      
    C’est par là que je te rejoins,
  
par la route calcinée des veines,
et ton or est comme ma peine
    le pire et le plus sûr témoin.
    
      
    
      
    
      
    
      
  
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               qui comme un trait perce la croûte de la double calotte en voûte de la terre qui le démange. 
            
               qui marche d’un pas de punaise, mais qui sous la punaise en braise se retourne en coup de couteau. 
            
               Dieu-la chienne s’est retirée, des seins de terre et d’eau gelée qui pourrissent sa langue creuse. 
            
               pour broyer les caves de terre dont le crâne du chien stellaire sent monter l’horrible niveau. 
            
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               die als een pijl de korst doorboort van de dubbelgewelfde koepel van de hem kriebelende aarde. 
            
               die stapt met wantsenpas, maar die zich onder ‘s wantsen gloed keert als een messteek. 
            
               heeft de teefgodin zich teruggetrokken, borsten van aarde en bevroren water die haar holle tong doen rotten. 
            
               om de aarden kelders te verpulveren waar de schedel van de sterrenhond het verschrikkelijke peil voelt stijgen. 
            
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    Extase
    
      
    
      
    Argentin brasier, braise creusée
  
Avec la musique de son intime force
Braise évidée, délivrée, écorce
    Occupée à livrer ses mondes. 
    
      
    
      
    Recherche épuisante du moi
  
Pénétration qui se dépasse
Ah! joindre le bûcher de glace
    Avec l'esprit qui le pensa. 
    
      
    
      
    La vieille poursuite insondable
  
En jouissance s'extravase
Sensualités sensibles, extase
    Aux cristaux chantants véritables. 
    
      
    
      
    Ô musique d'encre, musique
  
Musique des charbons enterrés
Douce, pesante qui nous délivre
    Avec ses phosphores secrets.
    
      
    
      
    
      
    Le navire mystique
    
      
    
      
    Il se sera perdu le navire archaïque
  
Aux mers où baigneront mes rêves éperdus,
Et ses immenses mâts se seront confondus
    Dans les brouillards d’un ciel de Bible et de Cantiques.
    
      
    
      
    Et ce ne sera pas la Grecque bucolique
  
Qui doucement jouera parmi les arbres nus ;
Et le Navire Saint n’aura jamais vendu
    La très rare denrée aux pays exotiques.
    
      
    
      
    Il ne sait pas les feux des havres de la terre,
  
Il ne connaît que Dieu, et sans fin, solitaire
    Il sépare les flots glorieux de l’Infini.
    
      
    
      
    Le bout de son beaupré plonge dans le mystère ;
  
Aux pointes de ses mâts tremble toutes les nuits
    L’Argent mystique et pur de l’étoile polaire.
    
      
    
      
    
      
    Amour
    
      
    
      
    Et l’amour ? Il faut nous laver 
  
De cette crasse héréditaire
Où notre vermine stellaire
    Continue à se prélasser 
    
      
    
      
    L’orgue, l’orgue qui moud le vent 
  
Le ressac de la mer furieuse
Sont comme la mélodie creuse
    De ce rêve déconcertant 
    
      
    
      
    D’Elle, de nous, ou de cette âme 
  
Que nous assîmes au banquet
Dites-nous quel est le trompé
    O inspirateur des infâmes 
    
      
    
      
    Celle qui couche dans mon lit 
  
Et partage l’air de ma chambre
Peut jouer aux dés sur la table
    Le ciel même de mon esprit
    
      
    
      
    
      
    
      
  
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               cette route sans écriture Madame, et le signe de vos mâtures sur cette mer où je me noie 
            
               le coup de fusil de vos lèvres cet orage qui m’enlève dans le sillage de vos yeux. 
            
               où la vie fait trêve, et le vent, et l’horrible piétinement de la foule sur mon passage. 
            
               on dirait que le monde tremble, et les feux de l’amour ressemblent aux caresses de votre époux. 
            
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               deze tocht zonder schrift Madame, en ‘t teken van uw masten op deze zee waar ik verzuip. 
            
               het geweerschot van uw lippen deze storm die me meesleurt in het kielzog van uw ogen. 
            
               waar het leven stilstaat, en de wind, en het gruwelijke getrappel van de massa op mijn weg. 
            
               lijkt de wereld te wankelen, en de brandende liefde gelijkt op de strelingen van uw man. 
            
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    La rue
    
      
    
      
    La rue sexuelle s’anime 
  
le long de faces mal venues,
les cafés pepiant de crimes
    deracinent les avenues. 
    
      
    
      
    Des mains de sexe brûlent les poches 
  
et les ventres bouent par-dessous;
toutes les pensees s’entrechoquent,
    et les tetes moins que les trous.
    
      
    
      
    
      
    Poète noir
    
      
    
      
    Poète noir, un sein de pucelle 
  
te hante,
poète aigri, la vie bout
et la ville brûle,
et le ciel se résorbe en pluie,
    ta plume gratte au coeur de la vie. 
    
      
    
      
    Forêt, forêt, des yeux fourmillent 
  
sur les pignons multipliés ;
cheveux d’orage, les poètes
    enfourchent des chevaux, des chiens. 
    
      
    
      
    Les yeux ragent, les langues tournent 
  
le ciel afflue dans les narines
comme un lait nourricier et bleu ;
je suis suspendu à vos bouches
    femmes, coeurs de vinaigre durs.
    
      
    
      
    
      
    Prière
    
      
    
      
    Ah donne-nous des crânes de braises 
  
Des crânes brûlés aux foudres du ciel
Des crânes lucides, des crânes réels
    Et traversés de ta présence 
    
      
    
      
    Fais-nous naître aux cieux du dedans 
  
Criblés de gouffres en averses
Et qu’un vertige nous traverse
    Avec un ongle incandescent 
    
      
    
      
    Rassasie-nous nous avons faim 
  
De commotions inter-sidérales
Ah verse-nous des laves astrales
    A la place de notre sang 
    
      
    
      
    Détache-nous, Divise-nous 
  
Avec tes mains de braises coupantes
Ouvre-nous ces voûtes brûlantes
    Où l’on meurt plus loin que la mort 
    
      
    
      
    Fais vaciller notre cerveau 
  
Au sein de sa propre science
Et ravis-nous l’intelligence
Aux griffes d’un typhon nouveau