VIAN, Boris
    
      
    
      
    Le Déserteur
  
    
      
    Monsieur le Président
  
    je vous fais une lettre
    
      
    Que vous lirez peut-être
    
      
    Si vous avez le temps
    
      
    Je viens de recevoir
    
      
    Mes papiers militaires
    
      
    Pour partir à la guerre
    
      
    Avant mercredi soir
    
      
    Monsieur le Président
    
      
    je ne veux pas la faire
    
      
    je ne suis pas sur terre
    
      
    Pour tuer des pauvres gens
    
      
    C’est pas pour vous fâcher
    
      
    Il faut que je vous dise
    
      
    Ma décision est prise
    
      
    je m’en vais déserter
  
    
      
    Depuis que je suis né
    
      
    J’ai vu mourir mon père
    
      
    J’ai vu partir mes frères
    
      
    Et pleurer mes enfants
    
      
    Ma mère a tant souffert
    
      
    Qu’elle est dedans sa tombe
    
      
    Et se moque des bombes
    
      
    Et se moque des vers
    
      
    Quand j’étais prisonnier
    
      
    On m’a volé ma femme
    
      
    On m’a volé mon âme
    
      
    Et tout mon cher passé
    
      
    Demain de bon matin
    
      
    Je fermerai ma porte
    
      
    Au nez des années mortes
    
      
    J’irai sur les chemins
  
    
      
    Je mendierai ma vie
    
      
    Sur les routes de France
    
      
    De Bretagne en Provence
    
      
    Et je dirai aux gens
    
      
    Refusez d’obéir
    
      
    Refusez de la faire
    
      
    N’allez pas à la guerre
    
      
    Refusez de partir
    
      
    S’il faut donner son sang
    
      
    Allez donner le vôtre
    
      
    Vous êtes bon apôtre
    
      
    Monsieur le Président
    
      
    Si vous me poursuivez
    
      
    Prévenez vos gendarmes
    
      
    Que je n’aurai pas d’armes
    
      
    Et qu’ils pourront tirer.
    
      
    
      
    
      
    Je voudrais pas crever
  
    
      
    Je voudrais pas crever 
  
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles
    
      
    Je voudrais pas crever 
  
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
    
      
    Sans avoir essayé 
  
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d'égout
Sans avoir mis mon zob
Dans des coinstots bizarres
    
      
    Je voudrais pas finir 
  
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu'on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j'en aurai l'étrenne
    
      
    Et il y a z aussi 
  
Tout ce que je connais
Tout ce que j'apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d'algues
Sur le sable ondulé
L'herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L'odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, Ursula
    
      
    Je voudrais pas crever 
  
Avant d'avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J'en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
    
      
    Je voudrais pas mourir 
  
Sans qu'on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
    
      
    Tous les enfants contents 
  
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
    
      
    Et moi je vois la fin 
  
Qui grouille et qui s'amène
Avec sa gueule moche
Et qui m'ouvre ses bras
De grenouille bancroche
    
      
    Je voudrais pas crever 
  
Non monsieur non madame
Avant d'avoir tâté
Le goût qui me tourmente
Le goût qu'est le plus fort
    
      
    Je voudrais pas crever 
  
Avant d'avoir gouté
La saveur de la mort...
    
      
    
      
    Fais-moi mal, Johnny
    
      
    
      
    Il s'est levé à mon approche,
    
      
    Debout, il était bien plus petit
    
      
    Je me suis dit: "C'est dans la poche,
    
      
    Ce mignon-là, c'est pour mon lit!"
    
      
    Il m'arrivait jusqu'à l'épaule
    
      
    Mais il était râblé comme tout
    
      
    Il m'a suivie jusqu'à ma piaule
    
      
    Et j'ai crié vas-y mon loup!
  
    
      
    Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny,
    
      
    Envole-moi au ciel Zoum!
    
      
    Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny,
    
      
    Moi j'aime l'amour qui fait boum!
  
    
      
    Il n'avait plus que ses chaussettes,
    
      
    Des belles jaunes avec des raies bleues
    
      
    Il m'a regardé d'un œil bête,
    
      
    Il comprenait rien, l'malheureux
    
      
    Et il m'a dit l'air désolé :
    
      
    "Je n'ferais pas d'mal à une mouche"
    
      
    Il m'énervait je l'ai giflé
    
      
    Et j'ai grincé d'un air farouche
  
    
      
    Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny,
    
      
    Je n'suis pas une mouche Zoum!
    
      
    Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny,
    
      
    Moi j'aime l'amour qui fait boum!
  
    
      
    Voyant qu'il ne s'excitait guère,
    
      
    Je l'ai insulté sauvagement,
    
      
    J'y ai donné tous les noms d'la terre,
    
      
    Et encore d'autres bien moins courants.
    
      
    Ça l'a réveillé aussi sec,
    
      
    Et il m'a dit: "Arrête ton charre
    
      
    Tu m'prends vraiment pour un pauvre mec,
    
      
    J'vais t'en refiler, d'la série noire."
  
    
      
    Tu m'fais mal, Johnny, Johnny, Johnny,
    
      
    Pas avec des pieds Zing!
    
      
    Tu m'fais mal, Johnny, Johnny, Johnny,
    
      
    J'aime pas l'amour qui fait bing!
  
    
      
    Il a remis sa p'tite chemise,
    
      
    Son p'tit complet, ses p'tits souliers,
    
      
    Il est descendu l'escalier
    
      
    En m'laissant une épaule démise.
    
      
    Pour des voyous de cette espèce,
    
      
    C'est bien la peine de faire des frais,
    
      
    Maintenant, j'ai des bleus plein les fesses
    
      
    Et plus jamais je ne dirai:
  
    
      
    Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny,
    
      
    Envoie-moi au ciel Zoum!
    
      
    Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny,
    
      
    Moi j'aime l'amour qui fait boum!
  
    
      
    
      
    Je veux une vie en forme d'arête
  
    
      
    Je veux une vie en forme d'arête
  
Sur une assiette bleue
Je veux une vie en forme de chose
Au fond d'un machin tout seul
Je veux une vie en forme de sable dans des mains
En forme de pain vert ou de cruche
En forme de savate molle
En forme de faridondaine
De ramoneur ou de lilas
De terre pleine de cailloux
De coiffeur sauvage ou d'édredon fou
Je veux une vie en forme de toi
Et je l'ai, mais ça ne me suffit pas encore
Je ne suis jamais content