TARDIEU, Jean
    
      
    
      
    
      
  
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               – ……………………. Quel est dans mon tumulte ce silence? – ……………………. Qui est ici? Quel est cet inconnu? – ……………………. Qui a parlé, qui a crié, qui a serré ma gorge avec ses mains de traître? – ……………………. Est-ce le jour fixé, est-ce le lieu? Répondez! Mais répondez! Mais répondez-moi! 
            – …
            ……………………….
            
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               -……………………………………. Wat is die stilte in mijn tumult ? - …………………………………… Wie is hier ? Wie is die onbekende ? -……………………………………. Wie heeft gesproken, wie heeft geroepen, wie heeft mijn keel toegeknepen met zijn verradershanden ? -……………………………………. Is dit de bepaalde dag, is dit de plek ? Antwoord! Maar antwoord dan! Maar antwoord dan toch! -………………………………….... 
            
               
            
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    Feintes nécessaires
    
      
    
      
    J’appuie et creuse en pensant aux ombres,
  
     je passe et rêve en pensant au roc :
    
      
    
      
    fidèle au bord des eaux volages
  
     j’aime oublier sur un sol éternel.
    
      
    
      
    Je suis changeant sous les fixes étoiles
  
     mais sous les jours multiples, je suis un.
    
      
    
      
    Ce que je tiens me vient de la flamme,
  
     ce qui me fuit se fait pierre et silence.
    
      
    
      
    Je dors pour endormir le jour. Je veille
  
     la nuit, comme un feu sous la cendre…
    
      
    
      
    Ma différence est ma nécessité!
  
     Qui que tu sois, terre ou ciel, je m’oppose,
    
      
    
      
    car je pourchasse un ennemi rebelle
  
     ruse pour ruse et feinte pour feinte!
    
      
    
      
    O châtiment de tant de combats,
  
     O seul abîme ouvert à ma prudence :
    
      
    
      
    Vais-je mourir sans avoir tué l’Autre
  
     qui règne et se tait dans ses profondeurs?
    
      
    
      
    
      
     Oradour
    
      
    
      
     Oradour n'a plus de femmes
  
Oradour n'a plus un homme
Oradour n'a plus de feuilles
Oradour n'a plus de pierres
Oradour n'a plus d'église
     Oradour n'a plus d'enfants
    
      
    
      
     Plus de fumée plus de rires
  
Plus de toîts plus de greniers
Plus de meules plus d'amour
     Plus de vin plus de chansons.
    
      
    
      
     Oradour, j'ai peur d'entendre
  
Oradour, je n'ose pas
Approcher de tes blessures
De ton sang de tes ruines,
je ne peux je ne peux pas
     Voir ni entendre ton nom.
    
      
    
      
     Oradour je crie et hurle
  
Chaquefois qu'un coeur éclate
Sous les coups des assassins
Une tête épouvantée
Deux yeux larges deux yeux rouges
Deux yeux graves deux yeux grands
Comme la nuit la folie
Deux yeux de petits enfants:
     Ils ne me quitteront pas.
    
      
    
      
     Oradour je n'ose plus
  
     Lire ou prononcer ton nom.
    
      
    
      
     Oradour honte des hommes
  
Oradour honte éternelle
Nos coeurs ne s'apaiseront
Que par la pire vengeance
     Haine et honte pour toujours.
    
      
    
      
     Oradour n'a plus de forme
  
Oradour, femmes ni hommes
Oradour n'a plus d'enfants
Oradour n'a plus de feuilles
Oradour n'a plus d'église
Plus de fumées plus de filles
Plus de soirs ni de matins
     Plus de pleurs ni de chansons.
    
      
    
      
     Oradour n'est plus qu'un cri
  
Et c'est bien la pire offense
Au village qui vivait
Et c'est bien la pire honte
Que de n'être plus qu'un cri,
Nom de la haine des hommes
Nom de la honte des hommes
Le nom de notre vengeance
Qu'à travers toutes nos terres
On écoute en frissonnant,
Une bouche sans personne,
Qui hurle pour tous les temps.
    
      
    
      
    Voyage avec Monsieur Monsieur
  
    
      
    Avec Monsieur Monsieur
  
je m'en vais en voyage.
Bien qu'ils n'existent pas
je porte leurs bagages.
Je suis seul et ils sont deux.
    
      
    Lorsque le train démarre
  
je vois sur leur visage
la satisfaction
de rester immobile
quand tout fuit autour d'eux.
    
      
    Comme ils sont face à face
  
chacun a ses raisons.
L'un dit : les choses viennent
et l'autre : elles s'en vont;
    
      
    Quand le train les dépasse
  
est-ce que les maisons
subsistent ou s'effacent ?
moi je dis qu'après nous
ne reste rien du tout.
    
      
    Voyez comme vous êtes !
  
lui répond le premier,
pour vous rien ne s'arrête
moi je vois l'horizon
de champs et de villages
longuement persister.
Nous sommes le passage
nous sommes la fumée ...
    
      
    'est ainsi qu'ils devisent
  
et la discussion
devient si difficile
qu'ils perdent la raison.
    
      
    Alors le train s'arrête
  
avec le paysage
alors tout se confond.