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    Le temps et moi
  
    
      
     Dans le sous-sol le plus secret de ma détresse
  
Où le vice a reçu la trempe de la mort
je redonne le ton au disque
Le refrain à la vie
Un terme à mon remords
    
      
     Dans le cercle sans horizon où se lamente la nature
  
Si la chaleur qui passe du sang à ton esprit
Tu pouvais suivre la mesure
En te hâtant sans bruit au tournant de la peur
Tout ce qu'on m'a repris des roues de la poitrine
Cette montre qui sonne l'heure sans arrêt
Et l'amère lueur qui coulait goutte à goutte
Entre la main et l'œil
Le chemin de la peau
La débâcle au bruit sec de la glace légère qui se brise au r é veil
    
      
     Je vais plus loin la main tendue au mouvement 
  
inconscient de la pendule
Une curiosité perçante au fond du cœur
Et pour toi dans la tempe le bruit sourd qui ondule
Des fièvres du péché à l'haleine des fleurs
    
      
     Va-et-vient lumineux
  
Ressac de la fatigue
Goutte à goutte le temps creuse ta pierre nue
Poitrine ravinée par l'acier des minutes
     Et la main dans le dos qui pousse à l'inconnu
    
      
    
      
    
      
    
      
  
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               Je suis tendre Et j'ai perdu mon temps A rêver sans dormir A dormir en marchant Partout où j'ai passé J'ai trouvé mon absence Je ne suis nulle part Excepté le néant Mais je porte caché au plus haut des entrailles A la place où la foudre a frappé trop souvent Un coeur où chaque mot a laissé son entaille Et d'où ma vie s'égoutte au moindre mouvement. 
            
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               en ik ben zacht en ik heb mijn tijd verdaan met te dromen zonder te slapen en al slapend te gaan. Overal waar ik ben geweest heb ik mijn afwezigheid gevonden. Behalve in het niets, ben ik nergens, maar ik tors, verborgen in mijn diepste binnenste, daar waar de liefde te vaak tekeerging, een hart waar elk woord zijn keep heeft gekorven en waar mijn leven weglekt bij de minste beweging. 
            
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    Nomade
    
      
    
      
    La porte qui ne s’ouvre pas
  
La main qui passe
     Au loin un verre qui se casse
    
      
           La lampe fume
  
Les étincelles qui s’allument
     Le ciel est plus noir
    
      
          Sur les toits
    
      
    
      
     Quelques animaux
  
     Sans leur ombre
    
      
    Un regard
  
    Une tache sombre
    
      
    
      
    La maison où l’on n’entre pas
  
    
      
    
      
    Jour éclatant  
  
    
      
    Un mouvement de bras
  
Comme un battement d’ailes
Le vent qui se déploie
Et la voix qui appelle
Vers le silence épais
qu’aucun souffle ne ride
Les larmes du matin et les doigts de la rive
L’eau qui couleau dehors
L’ornière suit le pas
Le soleil se déroule
Et le ciel ne tient pas
L’arbre du carrefour se penche et interroge
La voiture qui roule enfonce l’horizon
Tous les murs au retour sèchent contre le vent
Et le chemin perdu se cache sous le pont
Quand la forêt remue
Et que la nuit s’envole
Entre les branches mortes où la fumée s’endort
L’œil fermé au couchant
La dernière étincelle
Sur le fil bleu du ciel
le cri d’une hirondelle
    
      
    
      
    Carrefour
  
    
      
    S’arrêter devant le soleil
  
Après la chute ou le réveil
Quitter la cuirasse du temps
Se reposer sur un nuage blanc
Et boire au cristal transparent
De l'air
De la lumière
Un rayon sur le bord du verre
Ma main déçue n'attrape rien
Enfin tout seul j'aurai vécu
Jusqu'au dernier matin
    
      
    Sans qu'un mot m'indiquât quel fut le bon chemin
  
    
      
    
      
    Reflux
  
    
      
    Quand le sourire éclatant des façades déchire le décor fragile du matin ; quand l'horizon est encore plein du sommeil qui s'attarde, les rêves murmurant dans les ruisseaux des haies ; quand la nuit rassemble ses haillons pendus aux basses branches, je sors, je me prépare, je suis plus pâle et plus tremblant que cette page où aucun mot du sort n'était encore inscrit. Toute la distance de vous à moi — de la vie qui tressaille à la surface de ma main au sourire mortel de l'amour sur sa fin — chancelle, déchirée.
  
La distance parcourue d'une seule traite sans arrêt, dans les jours sans clarté et les nuits sans sommeil. Et ce soir, je voudrais d'un effort surhumain, secouer toute cette épaisseur de rouille — cette rouille affamée qui déforme mon coeur et me ronge les mains. Pourquoi rester si longtemps enseveli sous les décombres des jours et de la nuit, la poussière des ombres. Et pourquoi tant d’amour et pourquoi tant de haine. Un sang léger bouillonne à grandes vagues dans des vases de prix. Il court dans les fleuves du corps, donnant à la santé toutes les illusions de la victoire. Mais le voyageur exténué, ébloui, hypnotisé par les lueurs fascinantes des phares, dort debout, il ne résiste plus aux passes magnétiques de la mort. Ce soir je voudrais dépenser tout l’or de ma mémoire, déposer mes bagages trop lourds. Il n’y a plus devant mes yeux que le ciel nu, les murs de la prison qui enserrait ma tête, les pavés de la rue. Il faut remonter du plus bas de la mine, de la terre épaissie par l’humus du malheur, reprendre l’air dans les recoins les plus obscurs de la poitrine, pousser vers les hauteurs — où la glace étincelle de tous les feux croisés de l’incendie — où la neige ruisselle, le caractère dur, dans les tempêtes sans tendresse de l’égoïsme et les décisions tranchantes de l’esprit.