BAÏF, Jean Antoine de
    
      
    
      
    O doux plaisir
    
      
    
      
    Ô doux plaisir plein de doux pensement,
  
Quand la douceur de la douce mêlée,
Etreint et joint, l’âme en l’âme mêlée,
Le corps au corps accouplé doucement.
    
      
    Ô douce mort ! ô doux trépassement !
  
Mon âme alors de grand’joie troublée,
De moi dans toi s’écoulant à l’emblée,
Puis haut, puis bas, quiert son ravissement.
    
      
    Quand nous ardents, Meline, d’amour forte,
  
Moi d’être en toi, toi d’en toi tout me prendre,
Par cela mien, qui dans toi entre plus,
    
      
    Tu la reçois, moi restant masse morte :
  
Puis vient ta bouche en ma bouche la rendre,
    Me ranimant tous mes membres perclus.
    
      
    
      
    
      
    Mets-moi dessus la mer
    
      
    
      
    Mets-moi dessus la mer d'où le soleil se lève, 
  
Ou près du bord de l'onde où sa flamme s'éteint ;
Mets-moi au pays froid, où sa chaleur n'atteint,
Ou sur les sablons cuits que son chaud rayon grève ;
    
      
    Mets-moi en long ennui, mets-moi en joie brève,
  
En franche liberté, en servage contraint ;
Soit que libre je sois, ou prisonnier rétreint,
En assurance, ou doute, ou en guerre ou en trêve ;
    
      
    Mets-moi au pied plus bas ou sur les hauts sommets
  
Des monts plus élevés, ô Méline, et me mets
En une triste nuit ou en gaie lumière ;
    
      
    Mets-moi dessus le ciel, dessous terre mets-moi, 
  
Je serai toujours même, et ma dernière foi
    Se trouvera toujours pareille à la première.
    
      
    
      
    
      
    La Rose
    
      
    
      
    Durant cette saison belle
    
      
    Du renouveau gracieux,
    
      
    Lorsque tout se renouvelle 
    
      
    Plein d'amour delicieux, 
    
      
    Ny par la peinte prérie, 
    
      
    Ny sus la haye fleurie, 
    
      
    Ny dans le plus beau jardin, 
    
      
    Je ne voy fleur si exquise
    
      
    Que plus qu'elle je ne prise
    
      
    La rose au parfum divin.
    
      
    
      
    Mais la blanche ne m'agrée,
    
      
    Blême de morte paleur,
    
      
    Ny la rouge colorée
    
      
    D'une sanglante couleur :
    
      
    L'une de blémeur malade
    
      
    Et l'autre de senteur fade,
    
      
    Ne plet au nés ny à l'oeil.
    
      
    Toutes les autres surpasse
    
      
    Celle qui vive compasse
    
      
    De ces deux un teint vermeil.
    
      
    
      
    La rose incarnate est celle 
    
      
    Où je pren plus de plaisir :
    
      
    Mais combien qu'elle soit telle 
    
      
    Si la veu-je bien choisir. 
    
      
    Car l'une prise en une heure, 
    
      
    Et l'autre en l'autre est meilleure 
    
      
    Au chois de nostre raison. 
    
      
    Toute chose naist, define,
    
      
    Tantôt croist et puis decline 
    
      
    Selon sa propre saison.
    
      
    
      
    Je ne forceray la rose 
    
      
    Qui cache, dans le giron 
    
      
    D'un bouton etroit enclose, 
    
      
    La beauté de son fleuron. 
    
      
    Quelque impatient la cueille 
    
      
    Devant que la fleur vermeille 
    
      
    Montre son tresor ouvert ; 
    
      
    Mon desir ne me transporte 
    
      
    Si fort que celle j'emporte 
    
      
    Qui ne sent rien que le verd.