BARBARA
    
      
    
      
    
      
    L'aigle noir
    
      
    
      
    Un beau jour, 
    
      
    Ou peut-être une nuit 
    
      
    Près d'un lac, je m'étais endormie 
    
      
    Quand soudain, semblant crever le ciel 
    
      
    Et venant de nulle part, 
    
      
    Surgit un aigle noir. 
    
      
    
      
    Lentement, les ailes déployées, 
    
      
    Lentement, je le vis tournoyer. 
    
      
    Près de moi, dans un bruissement d'ailes, 
    
      
    Comme tombé du ciel, 
    
      
    L'oiseau vint se poser. 
    
      
    
      
    Il avait les yeux couleur rubis 
    
      
    Et des plumes couleur de la nuit. 
    
      
    À son front, brillant de mille feux, 
    
      
    L'oiseau roi couronné 
    
      
    Portait un diamant bleu. 
    
      
    
      
    De son bec, il a touché ma joue. 
  
    Dans ma main, il a glissé son cou. 
    
      
    C'est alors que je l'ai reconnu : 
    
      
    Surgissant du passé, 
    
      
    Il m'était revenu. 
    
      
    
      
    Dis l'oiseau, O dis, emmène-moi. 
    
      
    Retournons au pays d'autrefois, 
    
      
    Comme avant, dans mes rêves d'enfant, 
    
      
    Pour cueillir en tremblant 
    
      
    Des étoiles, des étoiles. 
    
      
    
      
    Comme avant, dans mes rêves d'enfant, 
    
      
    Comme avant, sur un nuage blanc, 
    
      
    Comme avant, allumer le soleil, 
    
      
    Être faiseur de pluie 
    
      
    Et faire des merveilles. 
    
      
    
      
    L'aigle noir, dans un bruissement d'ailes 
    
      
    Prit son vol pour regagner le ciel. 
    
      
    Quatre plumes, couleur de la nuit, 
    
      
    Une larme, ou peut-être un rubis. 
    
      
    J'avais froid, il ne me restait rien. 
    
      
    L'oiseau m'avait laissée 
    
      
    Seule avec mon chagrin. 
    
      
    
      
    Un beau jour, ou était-ce une nuit 
    
      
    Près d'un lac je m'étais endormie. 
    
      
    Quand soudain, semblant crever le ciel 
    
      
    Et venant de nulle part 
    
      
    Surgit un aigle noir. 
  
    
      
    
      
    Ma maison
    
      
    
      
    Je m'invente un pays où vivent des soleils 
    
      
    Qui incendient les mers et consument les nuits, 
    
      
    Les grands soleils de feu, de bronze ou de vermeil, 
    
      
    Les grandes fleurs soleils, les grands soleils soucis, 
    
      
    Ce pays est un rêve où rêvent mes saisons 
    
      
    Et dans ce pays-là, j'ai bâti ma maison. 
    
      
    
      
    Ma maison est un bois, mais c'est presque un jardin 
    
      
    Qui danse au crépuscule, autour d'un feu qui chante, 
    
      
    Où les fleurs se mirent dans un lac sans tain 
    
      
    Et leurs images embaument aux brises frissonnantes. 
    
      
    Aussi folle que l'aube, aussi belle que l'ombre, 
    
      
    Dans cette maison-là, j'ai installé ma chambre. 
    
      
    
      
    Ma chambre est une église où je suis, à la fois 
    
      
    Si je hante un instant, ce monument étrange 
    
      
    Et le prêtre et le Dieu, et le doute, à la fois 
    
      
    
      
    Et l'amour et la femme, et le démon et l'ange. 
    
      
    Au ciel de mon église, brûle un soleil de nuit. 
    
      
    Dans cette chambre-là, j'y ai couché mon lit. 
    
      
    
      
    Mon lit est une arène où se mène un combat 
    
      
    Sans merci, sans repos, je repars, tu reviens, 
    
      
    Une arène où l'on meurt aussi souvent que ça 
    
      
    Mais où l'on vit, pourtant, sans penser à demain, 
    
      
    Où mes grandes fatigues chantent quand je m'endors. 
    
      
    Je sais que, dans ce lit, j'ai ma vie, j'ai ma mort. 
    
      
    
      
    Je m'invente un pays où vivent des soleils 
    
      
    Qui incendient les mers et consument les nuits, 
    
      
    Les grands soleils de feu, de bronze ou de vermeil, 
    
      
    Les grandes fleurs soleils, les grands soleils soucis. 
    
      
    Ce pays est un rêve où rêvent mes saisons 
    
      
    Et dans ce pays-là, j'ai bâti ta maison.
  
    
      
    
      
    Mon enfance
    
      
    
      
    J'ai eu tort, je suis revenue
    
      
    dans cette ville loin perdue
    
      
    ou j'avais passé mon enfance.
    
      
    J'ai eu tort, j'ai voulu revoir
    
      
    le coteau ou glissaient le soir
    
      
    bleus et gris ombres de silence.
    
      
    Et je retrouvais comme avant,
    
      
    longtemps après,
    
      
    le coteau, l'arbre se dressant,
    
      
    comme au passé.
    
      
    J'ai marché les tempes brûlantes,
    
      
    croyant étouffer sous mes pas.
    
      
    Les voies du passé qui nous hantent
    
      
    et reviennent sonner le glas.
    
      
    Et je me suis couchée sous l'arbre
    
      
    et c'étaient les mêmes odeurs.
    
      
    Et j'ai laissé couler mes pleurs,
    
      
    mes pleurs.
  
    J'ai mis mon dos nu a l'écorce,
    
      
    l'arbre m'a redonné des forces
    
      
    tout comme au temps de mon enfance.
    
      
    Et longtemps j'ai fermé les yeux,
    
      
    je crois que j'ai prié un peu,
    
      
    je retrouvais mon innocence.
    
      
    Avant que le soir ne se pose
    
      
    j'ai voulu voir
    
      
    les maisons fleuries sous les roses,
    
      
    j'ai voulu voir
    
      
    le jardin ou nos cris d'enfants
    
      
    jaillissaient comme source claire.
    
      
    Jean-Claude, Régine, et puis Jean -
    
      
    tout redevenait comme hier -
    
      
    le parfum lourd des sauges rouges,
    
      
    les dahlias fauves dans l'allée,
    
      
    le puits, tout, j'ai tout retrouvé.
    
      
    Hélas
    
      
    La guerre nous avait jeté là,
    
      
    d'autres furent moins heureux, je crois,
    
      
    au temps joli de leur enfance.
    
      
    La guerre nous avait jetés là,
    
      
    nous vivions comme hors la loi.
    
      
    Et j'aimais cela. Quand j'y pense
    
      
    ou mes printemps, ou mes soleils,
  
    ou mes printemps, ou mes soleils,
    
      
    ou mes folles années perdues,
    
      
    ou mes quinze ans, ou mes merveilles -
    
      
    que j'ai mal d'être revenue -
    
      
    ou les noix fraiches de septembre
    
      
    et l'odeur des mûres écrasées,
    
      
    c'est fou, tout, j'ai tout retrouvé.
    
      
    Hélas
    
      
    Il ne faut jamais revenir
    
      
    aux temps cachés des souvenirs
    
      
    du temps béni de son enfance.
    
      
    Car parmi tous les souvenirs
    
      
    ceux de l'enfance sont les pires,
    
      
    ceux de l'enfance nous déchirent.
  
    Oh ma très chérie, oh ma mère,
    
      
    ou êtes-vous donc aujourd'hui?
    
      
    Vous dormez au chaud de la terre.
    
      
    Et moi je suis venue ici
    
      
    pour y retrouver votre rire,
    
      
    vos colères et votre jeunesse.
    
      
    Et je suis seule avec ma détresse.
    
      
    Hélas
    
      
    Pourquoi suis-je donc revenue
    
      
    et seule au détour de ces rues?
    
      
    J'ai froid, j'ai peur, le soir se penche.
    
      
    Pourquoi suis-je venue ici,
    
      
    ou mon passé me crucifie?
    
      
    Elle dort à jamais mon enfance.
  
    
      
    
      
    Göttingen
  
    
      
    Bien sûr, ce n'est pas la Seine
  
Ce n'est pas le bois de Vincennes
Mais c'est bien joli tout de même
À Göttingen, à Göttingen
    
      
    Pas de quais et pas de rengaines
  
Qui se lamentent et qui se traînent
Mais l'amour y fleurit quand même
À Göttingen, à Göttingen
    
      
    Ils savent mieux que nous, je pense
  
L'histoire de nos rois de France
Herman, Peter, Helga et Hans
À Göttingen
    
      
    Et que personne ne s'offense
  
Mais les contes de notre enfance
"Il était une fois" commence
À Göttingen
    
      
    Bien sûr nous, nous avons la Seine
  
Et puis notre bois de Vincennes
Mais Dieu que les roses sont belles
À Göttingen, à Göttingen
    
      
    Nous, nous avons nos matins blêmes
  
Et l'âme grise de Verlaine
Eux c'est la mélancolie même
À Göttingen, à Göttingen
    
      
    Quand ils ne savent rien nous dire
  
Ils restent là à nous sourire
Mais nous les comprenons quand même
Les enfants blonds de Göttingen
    
      
    Et tant pis pour ceux qui s'étonnent
  
Et que les autres me pardonnent
Mais les enfants ce sont les mêmes
À Paris ou à Göttingen
    
      
    Ô faites que jamais ne revienne
  
Le temps du sang et de la haine
Car il y a des gens que j'aime
À Göttingen, à Göttingen
    
      
    Et lorsque sonnerait l'alarme
  
S'il fallait reprendre les armes
Mon coeur verserait une larme
Pour Göttingen, pour Göttingen
    
      
    Mais c'est bien joli tout de même
  
À Göttingen, à Göttingen
    
      
    Et lorsque sonnerait l'alarme
  
S'il fallait reprendre les armes
Mon coeur verserait une larme
    Pour Göttingen, pour Göttingen
    
      
    
      
    
      
    La Solitude
  
    
      
    Je l'ai trouvée devant ma porte
  
Un soir, que je rentrais chez moi
Partout, elle me fait escorte
Elle est revenue, elle est là
La renifleuse des amours mortes
Elle m'a suivie, pas à pas
La garce, que le Diable l'emporte
Elle est revenue, elle est là
    
      
    Avec sa gueule de carême
  
Avec ses larges yeux cernés
Elle nous fait le coeur à la traîne
Elle nous fait le coeur à pleurer
Elle nous fait des matins blêmes
Et de longues nuits désolées
La garce ! Elle nous ferait même
L'hiver au plein coeur de l'été
    
      
    Dans ta triste robe de moire
  
Avec tes cheveux mal peignés
T'as la mine du désespoir
Tu n'es pas belle à regarder
Allez, va t-en porter ailleurs
Ta triste gueule de l'ennui
Je n'ai pas le goût du malheur
Va t-en voir ailleurs si j'y suis
    
      
    Je veux encore rouler des hanches
  
Je veux me saouler de printemps
Je veux m'en payer, des nuits blanches
A coeur qui bat, à coeur battant
Avant que sonne l'heure blême
Et jusqu'à mon souffle dernier
Je veux encore dire je t'aime
    
      
    Et vouloir mourir d'aimer
  
Elle a dit Ouvre-moi ta porte
Je t'avais suivie pas à pas
Je sais que tes amours sont mortes
Je suis revenue, me voilà
Ils t'ont récité leurs poèmes
Tes beaux messieurs, tes beaux enfants
Tes faux Rimbaud, tes faux Verlaine
Eh ! bien, c'est fini, maintenant
    
      
    Depuis, elle me fait des nuits blanches
  
Elle s'est pendue à mon cou
Elle s'est enroulée à mes hanches
Elle se couche à mes genoux
Partout, elle me fait escorte
Et elle me suit, pas à pas
Elle m'attend devant ma porte
Elle est revenue, elle est là
    La solitude, la solitude