CHASSIGNET, Jean-Baptiste
    
      
    
      
    
      
    J’ai voulu voyager, à la fin le voyage
  
    
      
    J’ai voulu voyager, à la fin le voyage
  
M’a fait en ma maison mal content retirer.
En mon étude seul j’ai voulu demeurer,
Enfin la solitude a causé mon dommage.
    
      
    J’ai voulu naviguer, en fin le navigage
  
Entre vie et trépas m’a fait désesperer.
J’ai voulu pour plaisir la terre labourer,
En fin j’ai méprisé l’état du labourage.
    
      
    J’ai voulu pratiquer la science et les arts,
  
En fin je n’ai rien su ; j’ai couru le hasard
Des combats carnassiers, la guerre or m’offense :
    
      
    Ô imbécillité de l’esprit curieux
  
Qui mécontent de tout de tout est désireux,
Et douteux n’a de rien parfaite connaissance.
    
      
    
      
    Assieds-toi sur le bord d’une ondante rivière
  
    
      
    Assieds-toi sur le bord d'une ondante rivière,
  
Tu la verras fluer d'un perpétuel cours,
Et flots sur flots roulant en mille et mille tours
Décharger par les prés son humide carrière.
    
      
    Mais tu ne verras rien de cette onde première
  
Qui naguère coulait; l'eau change tous les jours,
Tous les jours elle passe et la nommons toujours
Même fleuve et même eau, d'une même manière.
    
      
    Ainsi l'homme varie et ne sera demain
  
Telle comme aujourd'hui du pauvre corps humain
La force que le temps abbrévie, et consomme.
    
      
    Le nom sans varier nous suit jusqu'au trépas,
  
Et combien qu'aujourd'hui celui ne sois-je pas
Qui vivais hier passé, toujours même on me nomme.
    
      
    
      
    A beaucoup de danger est sujette la fleur,
    
      
    
      
    A beaucoup de danger est sujette la fleur,
  
Ou l'on la foule aux pieds ou les vents la ternissent,
Les rayons du soleil la brûlent et rôtissent,
La bête la dévore, et s'effeuille en verdeur :
    
      
    Nos jours entremêlés de regret et de pleur
  
A la fleur comparés comme la fleur fleurissent,
Tombent comme la fleur, comme la fleur périssent,
Autant comme du froid tourmentés de l'ardeur.
    
      
    Non de fer ni de plomb, mais d'odorantes pommes
  
Le vaisseau va chargé, ainsi les jours des hommes
Sont légers, non pesants, variables et vains,
    
      
    Qui, laissant après eux d'un peu de renommée
  
L'odeur en moins de rien comme fruit consommée,
Passent légèrement hors du coeur des humains.
    
      
    
      
    Compte les ans, les mois, les heures et les jours
  
    
      
    Compte les ans, les mois, les heures et les jours
  
Et les points de ta vie, et me dis malhabile,
Où ils s’en sont allés : comme l’ombre fragile
Ils se sont écoulés sans espoir de retour.
    
      
    Nous mourons et nos jours roulent d’un vite cours
  
L’un l’autre se poussants comme l’onde labile
Qui ne retourne point, mais sa course mobile
D’une même roideur précipite toujours.
    
      
    Toujours le temps s’enfuit et n’est point réparable
  
Quand il est dépensé en œuvre dommageable,
L’usant et consumant en travail superflus,
    
      
    Nos jours ne sont sinon qu’une petite espace
  
Qui vole comme vent, un messager qui passe
Pour sa commission et ne retourne plus.